Les contradictions de la lutte antidopage
Alors que la législation antidopage s’est durcie en 2009, les révélations d’Agassi et le nombre étonnamment bas de cas positifs entretiennent le doute dans un sport classé parmi les plus ” propres “. Sans pour autant remettre en cause le système des contrôles. Vous avez dit omerta?
Quatre, c’est le nombre de ” contrôles positifs confirmés ” sur les 2000 tests réalisés sous l’égide de la fédération internationale de tennis (ITF) parmi les joueurs de tennis professionnels en 2009.
” Cela prouve bien que les tests sont inefficaces “ s’exclame Jean-Pierre de Mondenard, ancien médecin du Tour de France de 73 à 75, auteur du livre ” La grande imposture ” (1) et spécialiste du dopage. Si je suis chef d’entreprise et que j’ai un tel bilan, je vire tout le monde dans la seconde ! Il est exclu que dans un sport de haut niveau dans lequel règne une compétition exacerbée et une telle surmédiatisation, il n’y ait pas plus de cas. “
Un chiffre qualifié également de ” ridiculement bas “ par l’un des fondateurs du numéro vert ” écoute dopage “, Dorian Martinez, qui confie avoir reçu des appels de joueurs ayant pratiqué la transfusion sanguine ou qui donnent des détails de protocoles de dopage ” trop précis “ pour leurs être étranger.
Certes, depuis 2009, la lutte contre la triche s’est intensifiée. Un nouveau système de lutte antidopage oblige les cinquante meilleurs joueurs du monde à indiquer, chaque jour, une heure pendant laquelle ils sont disponibles pour un éventuel contrôle inopiné. Une réglementation déjà appliquée auparavant dans le cyclisme et qui s’avère très contraignante pour le sportif.
Andy Murray, obligé d’uriner à sept heures du matin, le pantalon aux chevilles et encore dans le coltard le lendemain de son retour de l’Open Australie 2009, l’a vivement critiqué ; Nadal et Simon aussi. La saison dernière, l’Agence mondiale antidopage (AMA) et Interpol ont également décidé d’accroître leur collaboration, entamée il y a quelques années pour plus de résultats.
Sur le site de la fédération internationale de tennis, la liste des joueurs actuellement suspendus (tableau du haut) et ceux réintégrés sur le circuit (en bas), au cours des 12 derniers mois.
Un nouveau cadre réglementaire, dans un sport déjà connu pour son faible taux de contrôles positifs. En 2006, par exemple, parmi les 10 sports les plus contrôlés en France, dont le cyclisme, le football, le rugby et l’haltérophilie, le ” taux de positivité “ le plus bas est celui du tennis : 1,04 %.
Pas utile dans le tennis ?
Mais cela suffit-il à expliquer le chiffre quasi nul de 2009 (0,2%) ? Argument régulièrement brandi par le monde du tennis pour expliquer ce faible taux : le dopage serait compliqué ou peu efficace. Voire même inutile, à en croire le déclarations parfois péremptoires de certains joueurs ou responsables d’instances nationales comme Christian Bîmes. L’ancien président de la FFT expliquant que ” dans ce sport qui demande des qualités physiques impressionnantes mais aussi une précision, une concentration, une application et une science du jeu hors du commun, un dopage bénéfique ne semble pas réalisable “. Un point de vue étonnant quand des substances comme l’EPO, les anabolisants ou la cocaïne sont des facteurs de performances, qui lors de rencontres marathons et au fur et à mesure de l’accumulation des matchs notamment, peuvent s’avérer déterminants.
Les déclarations des joueurs eux-mêmes, souvent contradictoires, éveillent les soupçons. ” Des mecs chargés, j’en vois sur tous les tournois et de plus en plus “, déclarait déjà Yannick Noah en 1980, chez Ardisson. En 2002, Nicolas Escudé évoquait son dépit : “Quand sur terre battue, après cinquante frappes, le mec en face est frais et vous attend pour servir alors que vous-même êtes à l’agonie, vous hallucinez”. Rappelé à l’ordre, le Français avait ensuite écopé de travaux d’intérêt général.
Mais ce sont surtout les propos d’Andre Agassi, qui avoue avoir sciemment pris des métamphétamines, qui ont relancé le débat. Dans son autobiographie, il raconte ainsi avoir été absout par les instances du tennis avec une simple lettre dans laquelle il ment, affirmant avoir absorbé la substance par erreur. Son assistant de l’époque, un toxicomane, avait l’habitude de mélanger cette drogue à des sodas…L’information est étouffée. Dix ans après, l’aveu suscite l’indignation mais n’ébranle pas le système.
L’ITF : “uge et partie”
En réponse à l’affaire Agassi, Francesco Ricci-Bitti, le président de la fédération internationale se défend ainsi : ” les faits en question se sont passés avant la création de l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) en 1999, à une époque où la lutte antidopage dans le tennis était gérée par des instances gouvernantes indépendantes. “
L’ITF prend aujourd’hui elle-même la chasse aux tricheurs, via un laboratoire de Montréal. Mais est-ce un progrès pour autant, quand le manque d’indépendance des instances chargées des contrôles est souvent le càur de cible des défenseurs de l’éthique ?
” Quelle fédération risquerait de se mettre à dos ses propres joueurs et de ternir leur image, alors que ce sont eux qui la font vivre ?, s’interroge Jean-Pierre de Mondenard. On ne peut pas être juge et partie. “
La décision de dessaisir l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), de la prise en charge des contrôles à Roland Garros en 2006 (même si elle a pu en faire cette année sous certaines conditions), pose aussi question. Le laboratoire de Châtenay-Malabry de l’AFLD avait notamment révélé le test positif de Mariano Puerta en 2005 et celui de Lance Armstrong à l’EPO sur le Tour 1999.